Les Enrag?s du football
Les Enragés du football. L’autre Mai 68, Paris, Calmann-Lévy, 2008
François-René Simon, Alain Leiblang et Faouzi Mahjoub
En 1967, la France du football s’ennuie aussi. Professionnalisme en crise, défiance des autorités politiques qui limitent, depuis le décret Herzog de 1961, la saison de football à huit mois, résultats et jeu médiocre : ce sont les années noires du ballon rond hexagonal. Mais la crise du football est aussi sociale : contrairement aux autres salariés qui bénéficient des fruits de la croissance, les joueurs professionnels sont soumis au « contrat à vie » qui les rendent prisonniers du bon vouloir de présidents rétrogrades et autoritaires.
Autour de l’équipe du Miroir du football de François Thébaud et avec le soutien de footballeurs – souvent vedettes comme Just Fontaine ou Raymond Kopa la riposte se prépare : au moment où les barricades étudiantes enflamment Paris, les « enragés du football » occupent le siège de la 3 F. Au slogan « Il est interdit d’interdire » vient s’ajouter le sportif « Le football aux footballeurs ».
Ce petit livre co-signé d’une plume alerte par deux anciens du Miroir, Faouzi Mahjoub et François-René Simon, et leur collègue Alain Leblanc ancien chef de presse du Mondial 1998, évoque, de l’intérieur, le Mai 68 des footballeurs. Il n’hésite pas à remonter aux « causes profondes de l’évènement », le marasme du football français des années soixante avant d’évoquer les lendemains qui ont plus ou moins chanté : adoption du contrat à temps, réforme du football professionnel, renouveau du jeu offensif et, plus globalement, d’un football français, écarté de la Coupe du monde 1970, il faut le rappeler, après la défaite 1 à 0 face aux amateurs norvégiens le 6 novembre 1968 à Strasbourg…
C’est aussi l’évocation d’un football bien franchouillard dans lequel les charges de secrétaire général de la FFF se passent de père en fils, où la médiocrité est érigée au rang de vertu cardinale, avec déjà ses présidents affairistes comme le flamboyant et opportuniste Marcel Leclerc à l’Olympique de Marseille. On saura aussi lire, entre les lignes, les rivalités du monde du journalisme sportif opposant les partisans du beau jeu et de l’offensive du Miroir du football, émanation de Miroir sprint et propriété du groupe de presse communiste des Editions J, à France Football, l’hebdomadaire de la presse sportive « bourgeoise », dirigé par le très légitimiste et prudent Jacques Ferran.
Le livre, préfacé Daniel Cohn-Bendit, mérite également d’être médité. Même si un succès international de l’équipe de France ou des clubs hexagonaux relevait alors de l’utopie, les « débats d’idées » footballistiques avaient encore un sens pour des journalistes militants chaussant volontiers les crampons et des footballeurs qui n’étaient pas encore lobotomisés par leurs lecteurs MP3 et leurs consoles de jeu et qui savaient penser, à leur manière, le monde.
Paul Dietschy
Université de Franche-Comté