Les Archives du football
WAHL Alfred, Les Archives du football. Sport et société en France (1880-1980), Paris, Gallimard-Julliard, 1989. Les historiens n’ont commencé à s’intéresser au football que depuis une vingtaine d’années. Pour des raisons culturelles évidentes, ce sont les Anglais qui ont « tiré les premiers » avec Tony Mason, auteur en 1980 du premier ouvrage « savant » sur l’histoire du ballon rond. Ce livre intitulé Association Football and English Society 1863-1915, décrit la naissance du football moderne, vite devenu professionnel dans l’Angleterre victorienne, et en analyse avec brio ses ressorts économiques et sociaux. Il faut attendre 1989, pour que l’université française se penche, brillamment également, sur le sujet.
Alfred Wahl, spécialiste de l’histoire politique et sociale de l’Allemagne et de l’Alsace, professeur à l’université de Metz, également dirigeant à la Ligue d’Alsace de football, propose alors dans la prestigieuse collection Archives Julliard-Gallimard à laquelle ont contribué, entre autres, Georges Duby, Pierre Goubert ou Maurice Agulhon, une première histoire « scientifique » du football français. Suivant la formule originale de la collection mêlant documents d’archives, récit et analyse historique, Alfred Wahl explore l’histoire sociale et culturelle du football depuis ce qu’il appelle la « greffe britannique », c’est-à-dire la création des premières équipes par des expatriés anglais, jusqu’à « l’ère de la déraison », les années Lagardère et Tapie, dans la seconde moitié des années 1980, qui paraissent d’ailleurs bien sages au regard du football-business d’aujourd’hui.
Deux thèmes intéressent particulièrement l’auteur : la nationalisation du jeu et sa professionnalisation, dans un pays où le ballon rond connaît un décollage plus lent que chez ses voisins. C’est d’abord la difficile construction d’une fédération unitaire alors que, jusqu’en 1912 environ, le football-rugby est hégémonique et que le sport se pratique d’abord entre coreligionnaires ou membres d’une même classe sociale. C’est ensuite le combat pour un professionnalisme ouvert contre l’ « amateurisme marron », opposant les capitaines d’industrie comme Jean-Pierre Peugeot et les dirigeants des petits clubs, notamment ceux de la Ligue de Paris, qui aboutit en 1932 à la création du championnat de France professionnel. L’adoption du professionnalisme en France et ses corollaires, l’apparition d’une profession nouvelle, celle de footballeur, la question du statut du joueur et les luttes « sociales » pour l’adoption du contrat à temps ou encore la viabilité économique du sport-spectacle qu’est devenu le football, constituent le cœur du livre.
Le lecteur peut ainsi suivre la lente reconnaissance d’un métier : du footballeur-ouvrier des usines Peugeot à la vedette du Matra-Racing touchant 700 000 F par mois… Les aspects politiques ne sont toutefois pas oubliés : sont évoqués en effet des moments-clés des rapports entre football, Etat et idéologies, à savoir le temps des patronages catholiques, celui du « poilu sportif » ou le combat d’arrière-garde mené par Jean Borotra et le régime de Vichy contre le professionnalisme footballistique.
Au total, écrit avec une plume alerte et traitant le football comme un « objet historique » à part entière, cet ouvrage a fait date. Il a servi et sert toujours à la fois de point de repère et d’inspiration pour les jeunes historiens qui ont choisi le football comme thème central de leurs travaux universitaires.
Paul Dietschy
Université de Franche-Comté