Les footballeurs professionnels des ann?es 30 ? nos jours
WAHL A., LANFRANCHI P., Les footballeurs professionnels des années 30 à nos jours, Hachette, la vie quotidienne, 1995, 289 p.
La profession de footballeur est devenue aujourd’hui une activité fort lucrative dont les gains bien gérés peuvent permettre à l’élite des joueurs français de vivre de leurs rentes une fois leur carrière terminée. De même, aidés et parfois manipulés par leurs agents, les vedettes du championnat signent souvent des contrats d’une durée de quatre à cinq ans qu’ils ne songent nullement honorer : comme l’ont illustré récemment les cas d’éléments aux talents inégaux, on ne peut désormais plus retenir contre son gré un joueur qui désire quitter son club.
Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi achèvent leur livre publié en 1995 dans la prestigieuse collection historique « La vie quotidienne » sur ce « temps de la déraison » qui commencerait au début des années 80 et annoncerait l’eldorado actuel. Mais l’essentiel de leur ouvrage est consacré à une autre époque pendant laquelle les joueurs professionnels ont vécu souvent chichement et dans la dépendance de leurs dirigeants-mécènes.
C’est que la reconnaissance du bien-fondé du métier de footballeur a tardé. Même si le professionnalisme est apparu dès les années 1880 au Royaume-Uni, de fortes résistances ont fait de la France l’un des derniers bastions de l’amateurisme en Europe continentale. Certes, la démocratisation du jeu que relèvent les deux auteurs à l’issue de la Première Guerre mondiale, place la question de l’adoption ou non du professionnalisme au centre des débats. L’amateurisme marron, c’est-à-dire la rétribution masquée de joueurs officiellement amateurs est le lot des années vingt. Il faut un passage en force de Jean-Pierre Peugeot pour que la Fédération Française de Football se résolve enfin à accepter l’inacceptable : le championnat professionnel qui voit le jour à l’orée de la saison 1932-1933.
Avec l’officialisation du professionnalisme, comme le montrent bien Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi, se construit peu à peu une profession avec sa formation, ses carrières, sa culture et ses luttes sociales. C’est aussi un métier sensible à la conjoncture économique particulière du sport : apparaissant alors que la dépression des années trente gagne finalement la France, il est frappé par la crise dans les années soixante dans un hexagone baignant dans l’expansion et le plein emploi. De plus, le footballeur a peu de prise sur l’évolution économique et sociale de sa profession : jusqu’à la fin des années soixante, malgré la révolte de Raymond Kopa en 1963 contre le contrat-esclavagiste, un joueur ne changeait de club que si telle était la volonté de ses dirigeants. De même, l’horizon de l’ascension sociale de joueurs aux origines de plus en plus modestes se bornait à l’ouverture d’un bar-tabac ou d’un magasin d’articles de sport.
En somme, les footballeurs professionnels ont longtemps été les représentants d’une France modeste et laborieuse et aussi d’une France de l’immigration. Qu’ils aient été directement recrutés à l’étranger et dans les colonies, ou simplement fils de travailleurs immigrés en France, le football a constitué pour eux un moyen d’intégration plus rapide dans la société française.
Au total, l’ouvrage de Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi dépasse largement la description de la naissance et de l’évolution d’une profession pour faire de ce groupe social des footballeurs le miroir des transformations économiques et sociales que la France a connues depuis le début des années trente.
Paul Dietschy
Université de Franche-Comté
Julien Sorez
Institut d'études politiques de Paris