Ajax, the Dutch, the War
KUPER Simon, Ajax, the Dutch,the War. Football in Europe during the Second World War, Londres, Orion, 2003
Après son livre Football against the enemy publié en 1994 et consacré aux multiples conflits ou enjeux de pouvoir auxquels le football sert de support (le présidentialisme africain et les équipes nationales, la junte argentine et la Coupe du monde 1978 ou encore l'opposition catholiques/protestants en Ecosse), le journaliste Simon Kuper consacre cet ouvrage paru en 2003 au football hollandais des années noires et d'avant la « marée orange ».
Le premier intérêt de l'ouvrage de Kuper est d'envisager une période riche, ambiguë, étonnante même de l'histoire du football européen. Selon l'auteur, loin d'être une parenthèse, l'occupation allemande correspondit, au moins jusqu'en 1943, à un essor de la pratique du football en Europe continentale et les Pays Bas ne firent pas exception. Au Royaume-Uni et en Allemagne, le spectacle du football continua à être organisé sur une large échelle et les vedettes déjà consacrées ou en devenir comme Stanley Matthews ou Fritz Walter foulèrent davantage les terrains de jeu que les champs de bataille. Ce tableau de l'Europe du ballon rond en guerre passe également par Strasbourg pour recueillir le témoignage de l'Alsacien Oscar Heisserer milieu de terrain, dans les années d'avant-guerre des Racing Club de Strasbourg et de Paris et de l'équipe de France, et réfractaire à l'appel pressant de l'occupant nazi pour qu'il s'engage dans la SS.
Mais l'intérêt du livre réside surtout dans l'évocation des Pays-Bas envahis. Kuper veut, à l'instar des historiens hollandais de la nouvelle génération, déconstruire le mythe de Pays-Bas qui auraient été un pays vertueux, résistant et protecteur de sa communauté juive. Tout d'abord, les Hollandais n'auraient subi véritablement la guerre et les affres de l'occupation, mis à part le bombardement de Rotterdam en mai 1940, que lors de « l'hiver de la faim » 1945. Ensuite, en dépit de la grève générale des 25 et 26 février 1941 lancée pour protester contre les persécutions antisémites, les Juifs hollandais ne bénéficièrent pas d'une meilleure protection que dans les autres pays européens. Kuper relit cette réécriture récente de l'histoire néerlandaise à travers la destinée de deux clubs de football le Sparta de Rotterdam et, bien sûr, l'Ajax d'Amsterdam. Kuper fait preuve de nuances pour évoquer la vie du Sparta et de l'Ajax sous l'occupation allemande : comme une majorité de leurs compatriotes, les dirigeants et joueurs ne sont pas, à quelques exceptions près, des collaborateurs mais très peu deviennent des héros de la résistance. Ils se situent surtout dans la « zone grise » des Hollandais et Européens attentistes et font preuve de cécité, volontaire ou non, face aux persécutions et aux interdits, notamment ceux qui entraînent leur exclusion des clubs sportifs, qui frappent les membres (nombreux) de confession israélite. Parmi ces derniers, peu reviennent de déportation et, après une épuration « sportive » des dirigeants et footballeurs trop compromis, un voile pudique est jeté sur ces années noires, ce qui n'empêche pas l'Ajax de devenir l'équipe européenne la plus populaire en Israël, bénéficiant ainsi du préjugé favorable à un club qui était largement soutenu par la communauté juive d'Amsterdam avant 1940 et à un pays qui aurait été davantage résistant que ses voisins.
Ecrit dans un style vivant, se lisant comme une enquête policière, l'ouvrage de Simon Kuper pose des questions importantes et permet d'aborder une histoire encore mal connue, celle du football pendant la seconde guerre mondiale. Il n'en épuise pas, bien sûr, le sujet.
Paul Dietschy
Université de Franche-Comté