Le mai 68 des footballeurs fran?ais
Les années 1960 constituent une décennie très difficile pour le football professionnel français. C’est l’époque des premières faillites de clubs (Sète, Nancy), de la fracassante déclaration de Kopa en 1963 qui compare le joueur à un esclave et de l’application par les équipes hexagonales du « catenaccio » inventé par Helenio Herrera. Cette conjoncture défavorable s’accompagne d’une baisse importante du nombre de spectateurs dans les stades, contrastant avec la popularité du ballon rond dans les années cinquante. Aussi, quand la contestation gagne la société française dans son ensemble au printemps 68, le monde du football n’échappe pas à la remise en cause des rapports sociaux.
Suivant les modèles étudiants et ouvriers, les footballeurs se lancent le 22 mai 1968 dans l’occupation des locaux de la Fédération, situés avenue d’Iéna dans le seizième arrondissement. Ils ne les « libéreront » que le 27, ayant reçu entre temps la visite d’étudiants. Ces « révolutionnaires », une dizaine selon le Parisien libéré, dix fois plus selon l’AFP, sont pour la plupart des joueurs amateurs de la région parisienne, encadrés par des journalistes du mensuel d’obédience communiste, Miroir du football. On note aussi la présence dans cette assemblée de contestataires, de deux joueurs professionnels du Red Star, Mérelle et Oriot. Ce petit comité se barricade donc au 60bis avenue d’Iéna, y plante le drapeau rouge et affiche sur la façade de cet immeuble cossu un programme revendiquant «Le Football aux footballeurs » et « La Fédération, propriété des 600 000 footballeurs ».
Ce mouvement veut coïncider tout autant avec la contestation ouvrière par l’utilisation du thème de la lutte des classes, qu’avec la grogne étudiante à travers la revendication d’un « football ludique » (A.Wahl). Les footballeurs remettent en cause le mode de fonctionnement du football français, comme les étudiants rejettent une société bourgeoise et sclérosée. Ils dénoncent également la soumission des dirigeants de la fédération au pouvoir politique. En effet, la Fédération Française de Football s’était accommodé du gaullisme sportif mis en place depuis les débuts de la Cinquième République et notamment de ses pratiques autoritaires, comme le décret Herzog, qui décida unilatéralement en 1961 de réduire la durée de la saison de football pour favoriser le développement d’autres activités sportives durant la période estivale. Ces « enragés de mai », selon l’expression d’A.Wahl, remettent surtout en cause l’organisation du football et le népotisme qui existerait au sein de la FFF, en prenant pour cible Pierre Delaunay qui a succédé à son père au poste de secrétaire général de la Fédération. Ils réclament sa démission et un référendum sur son organisation auquel participeraient les 600 000 licenciés.
Bien que n’affectant qu’un nombre marginal de joueurs, cette crise du football a eu le mérite d’avoir accéléré les réformes prévues par la Fédération, notamment la mise en place en 1969 du contrat à temps, laissant libre le joueur de choisir son nouvel employeur à l’expiration de la période contractuelle. On notera aussi que, comme d’autres soixante-huitards, certains des acteurs du mai 68 du ballon rond se sont également reclassés dans un système qu’il dénonçait alors, mais qu’ils ont contribué à transformer. C’est le cas d’un des deux contestataires du Red Star, André Mérelle, aujourd’hui directeur de l’Institut National du Football à Clairefontaine et entraîneur des élèves de première année.
Laurent Bocquillon
Université de Nice