Platini et l'Italie
Les joueurs de football français sont à l'image de la diversité des origines de la population hexagonale. En 1986, une enquête du quotidien L' Equipe révélait que 200 des 600 joueurs ayant porté le maillot de l'équipe de France étaient d'origine étrangère. Cette réussite sportive leur vaut d'être érigés en symboles de l'intégration des courants migratoires successifs. Ainsi, Michel Platini, le petit-fils de Piémontais, incarne celle des centaines de milliers d'Italiens qui ont traversé les Alpes. Certes, Michel Platini prétend dans son autobiographie ne s'être « jamais senti un immigré » et il ajoute qu'il n'a pas « compétence pour délivrer un message sur l'immigration ». Pour autant, sa vie comme sa carrière témoignent d'une relation soutenue et complexe avec le pays de ses origines.
Son grand-père Francesco Platini quitte dès l'adolescence Agrate-Conturbia , village piémontais situé à quelques kilomètres au sud-ouest du lac Majeur, pour venir s'installer, comme nombre de ses compatriotes, en Lorraine. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Francesco Platini participe à la reconstruction du pays en tant que maçon, métier devenu emblématique des conditions sociales de l'immigration transalpine. La famille Platini s'engage sur les voies de l'intégration par l'achat d'un commerce : le Café des sportifs . Pour le petit-fils, Michel, l'Italie n'est qu'un pays lointain, en rien mythifié. Les liens ne sont renoués qu'à l'occasion des séjours de vacances. Chez les Platini, on ne parle plus italien. C'est seulement au Café des sportifs , où il passe de longs moments, que les conversations en italien parviennent jusqu'aux oreilles de Michel tandis que son grand-père lui apprend très tôt à jouer à la Scoppa , cette belote typiquement italienne. Sur les murs de l'établissement sont accrochées des photographies des grands joueurs de football transalpins comme les Milanais Mazzola ou Rivera, auxquels le jeune footballeur s'identifie une fois la balle au pied. Ce rappel des origines est également présent dans la rue où ses premiers compagnons de jeu appartiennent à la communauté italo-lorraine ce qui les expose, à l'occasion, à se faire traiter de « sales ritals ».
Néanmoins, le moment clé de la prise de conscience de son italianité reste son transfert à la Juventus de Turin en 1982. Dans ses déclarations, son choix apparaît son seulement dicté par une ambition sportive mais aussi par des raisons affectives liées à l'histoire de sa famille. Pour Paris-Match « il a fait du retour au pays de ses parents une affaire sentimentale ». La signature d'un contrat à la Juventus de Turin semble pour Michel Platini susciter une telle émotion qu'il en vient à douter un moment de sa propre identité. A la longue, cependant, son expérience en Italie lui permet à la fois de se rattacher plus intensément à ses racines et d'affirmer plus fermement son sentiment d'être français.
Dans ce processus de « retour aux sources » propre aux représentants de la troisième génération de l'immigration, la figure de Platini redonne aux trois ou quatre millions de Français qui, dans les années 1980, comptent parmi leurs ancêtres immédiats une personne née dans la Péninsule une plus large visibilité à leur histoire, celle de l'immigration italienne.
Stéphane Mourlane
Université de Nice